Stigmatisation du cancer du poumon: Forêt hivernale
Cancer du poumon

Stigmatisation du cancer du poumon: les répercussions sur les patients/es sont lourdes

Prof. Laura Grigolon

Prof. Laura Grigolon
Professeur d'économie
Université de Mannheim

Selon une étude publiée récemment, la stigmatisation du cancer du poumon peut décourager les patients/es à suivre un traitement et constituer un frein à l’expansion des thérapies innovantes. 

Professeur Grigolon, vous avez mené une étude sur la stigmatisation des patients/es atteints/es de maladies telles que le cancer du poumon. Qu’entend-on par stigmatisation?

Professeur Grigolon: La stigmatisation est définie comme un sentiment de honte et de culpabilité qui est associé à une maladie, le cancer du poumon dans le cas présent. Le sentiment de culpabilité apparaît lorsque le cancer du poumon est lié au tabagisme. Les patients/es peuvent avoir le sentiment d’être eux-mêmes responsables de leur cancer.

 

Les malades du cancer du poumon n’ont pourtant pas tous/tes été des fumeurs/euses!

Professeur Grigolon: C’est exact. Il se trouve que 80 à 85 pour cent des patients/es ont en effet des antécédents de tabagisme au moment du diagnostic. Toutefois, au moment où le diagnostic est posé, environ 40 pour cent des patients/es ont cessé de fumer, et 15 à 20 pour cent des patients/es ne fument pas ou n’ont jamais fumé.

"La stigmatisation du cancer du poumon est un concept social, car il découle de la représentation du cancer du poumon comme une maladie liée au tabac."

Prof. Laura Grigolon

Comment mesure-t-on la stigmatisation?

Professeur Grigolon: Nous étudions la stigmatisation en calculant le pourcentage de malades du cancer du poumon non traités/ées dans une région. Nous avons observé des disparités considérables dans les taux de couverture en traitement entre des régions à Ontario (Canada), dans lesquelles nous avons mené notre étude. Nous associons ces disparités à la différence du degré de stigmatisation dans les régions.

La stigmatisation du cancer du poumon est un concept social, car il découle de la représentation du cancer du poumon comme une maladie liée au tabac. Cette perception est causée entre autres par des messages certes bien intentionnés, mais très durs des campagnes antitabac. La stigmatisation peut également être liée à l’ignorance en matière de santé. Cela signifie que des personnes mieux informées ont généralement moins tendance à stigmatiser.

Des discussions avec des professionnels/elles de la santé confirment que les malades du cancer du poumon se considèrent comme des patients/es atteints/es d’une maladie dont ils sont eux-mêmes responsables et qui constituent une charge inutile pour leurs familles et leurs communautés. Cela ne devrait avoir aucune importance au moment du diagnostic, mais les patients/es se sentent coupables. Dans le pire des cas, cela pousse les malades à ne pas accepter le traitement, à le repousser ou à y mettre un terme de façon prématurée.

 

Comment avez-vous évalué les répercussions de la stigmatisation sur le cancer du poumon?

Professeur Grigolon: Nous possédons les données très détaillées de chaque patient/e dont le cancer a été diagnostiqué à Ontario. Nous avons constaté que la probabilité qu’un/e malade du cancer ait recours à un traitement est d’autant plus faible que le pourcentage de malades du cancer non traités/ées dans la même communauté est élevé. Ce résultat tient compte des facteurs tels que le niveau d’instruction et du revenu. Nous avons également effectué un test de falsification avec un autre type de cancer comme référence, le cancer du côlon dans notre cas, également de stade 4. Nous avons remarqué que dans le cas du cancer du côlon, le pourcentage de patients/es non traités/ées ne joue aucun rôle dans la décision d’un/e patient/e de recevoir ou non un traitement. Cette donnée joue un rôle dans le cas du cancer du poumon, ce qui n’est pas le cas dans le cas du cancer du côlon.

La stigmatisation influe-t-elle également sur la recherche?

Professeur Grigolon: Oui, il existe une corrélation entre le nombre de patients/es traités/ées et le niveau des dépenses consacrées à la recherche ainsi que le nombre de médicaments mis au point. Nous avons découvert que: plus le nombre de patients/es traités/ées est élevé, plus les dépenses consacrées à la recherche de nouveaux médicaments sont élevées. En effet, les ventes en perspective sont bien évidemment plus élevées. Nous avons constaté que la stigmatisation entraîne une baisse du nombre de malades du cancer du poumon qui ont recours à un traitement. Cela a des répercussions aussi bien sur les dépenses consacrées à la recherche que sur le nombre de médicaments mis au point pour combattre le cancer du poumon.

La stigmatisation permet en partie de comprendre pourquoi, bien que le cancer du poumon soit responsable de 32 pour cent des décès dus au cancer, seulement 10 pour cent du financement de recherche sur le cancer sont alloués au cancer du poumon.

Les ressources allouées à la lutte contre le cancer du poumon sont proportionnellement inférieures par exemple à celles allouées à la lutte contre le cancer du sein. Les dépenses moyennes consacrées à la lutte contre le cancer du poumon sont d’environ 2300 dollars par année de vie perdue et d’environ 25 000 dollars pour le cancer du sein. Je fais référence ici principalement à la recherche et au développement qui permettent de mettre au point de nouveaux médicaments.

 

Inversement, l’élimination de la stigmatisation favoriserait-elle les thérapies innovantes?

Professeur Grigolon: Exactement! Si la stigmatisation est éliminée, un plus grand nombre de malades du cancer du poumon chercheront à bénéficier d’un traitement, ce qui aura des répercussions positives sur le financement de la recherche sur le cancer du poumon.

"Nous devrions améliorer la compréhension du cancer du poumon par la société, afin que les gens prennent conscience de la stigmatisation de ce cancer et puissent s’engager activement à ne plus promouvoir la stigmatisation."

Prof. Laura Grigolon

Quelle pourrait être la solution pour les patients/es qui ne reçoivent pas de traitement à cause de la stigmatisation?

Professeur Grigolon: Nous avons constaté que les malades s’infligent eux-mêmes ce sentiment de culpabilité; les médecins ne les considèrent pas comme responsables. Du point de vue politique, il serait bon que ces patients/es puissent bénéficier de conseils ou d’un accompagnement psychologique pour surmonter leur sentiment de culpabilité. De plus, nous devrions améliorer la compréhension du cancer du poumon par la société, afin que les gens prennent conscience de la stigmatisation de ce cancer et puissent s’engager activement à ne plus promouvoir la stigmatisation.

Journaliste: Thomas Ferber
Date: 26.09.2022